Quand la politique et le sacré s’entremêlent : l’Église au cœur des stratégies électorales en Guadeloupe

À l’occasion de la cérémonie des vœux aux forces vives de la Guadeloupe, la grande salle du MACTe s’est muée en une cathédrale laïque où les fidèles du développement régional ont assisté à une prêche d’un genre nouveau. Sous l’éclatante lumière des projecteurs et sur invitation expresse d’Ary Chalus, le président de la Région Guadeloupe, Monseigneur Philippe Guiougou a gravi les estrades, non point pour prêcher la conversion des âmes mais pour disserter sur la sagesse et l’unité. En cette occasion, sa figure s’est élevée au statut d’invité d’honneur dans une soirée qui évoquait l’ambiance d’une cérémonie solennelle, flirtant avec les rituels d’une campagne électorale.

Vêtu de sa soutane, l’habit ne faisant pas le moine mais certainement l’orateur, l’évêque de Guadeloupe a captivé l’assistance. Sa présence n’était pas sans rappeler les alliances ancestrales entre le trône et l’autel, sauf que cette fois, c’est le bulletin de vote qui semble être le Saint Graal convoité.

Au cœur de turbulences judiciaires, Ary Chalus semble chercher un secours céleste, un rempart contre les tempêtes qui agitent sa présidence. L’image du dirigeant régional invoquant une puissance divine, lors d’une cérémonie aux allures de conclave électoral, prête à sourire dans un pays où la séparation de l’Église et de l’État est un principe fondamental depuis la loi de 1901. C’est dans ce contexte quelque peu ironique que les élus de l’archipel, confrontés à leurs propres défis, semblent eux aussi se tourner vers les cieux, espérant peut-être que la providence divine palliera là où la politique terrestre vacille.

L’assistance, y compris le préfet, le représentant de l’État, a assisté à cette étonnante scène où la spiritualité se mêle à la politique. Cette présence étatique à un événement teinté d’une spiritualité manifeste pourrait bien faire hausser quelques sourcils, rappelant à tous l’humour involontaire qui naît lorsque les lignes séculaires de la laïcité semblent s’estomper, ne serait-ce que le temps d’un discours ou d’une soirée.

Dans ce tableau quasi-liturgique, on aurait pu croire à un subtil baptême de début de campagne électorale, où l’eau bénite aurait été remplacée par les promesses politiques et les gestes de communion par des poignées de mains appuyées et des regards complices. Entre les palmes décoratives, qui auraient tout aussi bien pu orner l’entrée d’une église un dimanche des Rameaux, Monseigneur Guiougou a prêché la bonne parole politique avec une aisance céleste, laissant entendre que les voies du Seigneur sont impénétrables, mais celles des urnes un peu moins.

Le Mémorial ACTe, érigé en hommage aux mémoires de l’esclavage, se trouve ironiquement sous les feux de la scène politique lors de cette soirée. C’est dans cet espace, où sont exposés des fragments de la Bulle papale ayant autrefois validé l’esclavage, que s’est déroulée une réunion aux allures de messe. Ce lieu, destiné à la réflexion et au recueillement sur un passé douloureux, s’est vu momentanément transformé, contrastant avec son but initial et soulignant un paradoxe historique poignant.

L’assemblée, composée de patrons de petites entreprises, d’artisans, et d’élus, semblait convertie à la doctrine du développement régional, écoutant avec ferveur les révélations sur les investissements et les projets à venir. Alors que les titans de l’industrie brillaient par leur absence. Le président de Région, et les autres apôtres de l’économie locale n’ont pas manqué de vanter le miracle économique promis, si l’on croit assez fort à la collectivité stratège.

Pourtant, l’on pourrait se demander si le ciel étoilé de la politique n’est pas un peu trop encombré, et si l’invocation de figures spirituelles n’est pas un moyen pour les politiques de chercher à marcher sur les eaux tumultueuses de l’électorat. À la fin de cette soirée, où l’on a navigué entre la sécularité et la sacralité, une question demeure : assiste-t-on à une nouvelle forme de conversion où les élus cherchent moins à toucher le ciel qu’à consolider leur base terrestre ?

Alors que l’évêque descendait de sa chaire moderne, laissant derrière lui un auditoire médusé par tant de ferveur, on ne pouvait s’empêcher de penser que, dans la Guadeloupe d’aujourd’hui, les élections et les élections sont peut-être devenues synonymes, et que le salut électoral viendrait peut-être aussi de l’Église. Amen à cela, ou peut-être devrions-nous dire… à suivre.

Jean APÔTRE

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